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L'industrie événementielle traverse actuellement une profonde transformation. Historiquement considéré comme un secteur distinct (caractérisé par son aspect festif, éphémère et parfois déconnecté des réalités systémiques), ce domaine se trouve aujourd'hui confronté aux grandes transitions de notre époque. La crise climatique, la raréfaction des ressources, les impératifs de sobriété énergétique, conjugués à la fragilisation des financements publics, à la restructuration des filières culturelles et à la pression croissante sur les équipes opérationnelles, nécessitent une refonte fondamentale des méthodes de conception, d'organisation et de production événementielle.
Cette complexité s'accompagne désormais d'une exigence supplémentaire : concilier l'ambition artistique et sociale des événements avec une exemplarité environnementale et éthique dans leur exécution. Faut-il pour autant abandonner certains formats d'événements ou procéder à une refonte intégrale ? Pas nécessairement. Au cœur de cette transformation, des pratiques innovantes et pragmatiques émergent déjà, parmi lesquelles la mutualisation occupe une place prépondérante.
La mutualisation se définit comme la mise en commun volontaire de ressources matérielles, humaines ou logistiques, et la planification de leur usage partagé. Dans le contexte événementiel, cela se traduit par le partage d'infrastructures (barnums, mobilier, équipements scéniques), de moyens logistiques, ou encore de compétences techniques. Cette approche englobe également le partage des achats, la centralisation des stocks, l'élimination des redondances, et le développement de services collaboratifs.
Ce modèle constitue une solution immédiatement opérationnelle face aux multiples défis contemporains. Contrairement à d'autres leviers de transition souvent complexes, technologiquement avancés ou nécessitant des investissements conséquents, la mutualisation repose sur un principe simple : optimiser l'utilisation des ressources existantes. Il ne s’agit pas de consommer autrement, mais de consommer moins et mieux, en s'appuyant sur la solidarité des territoires et la coopération opérationnelle.
La mutualisation se limite-t-elle pour autant à l'emprunt occasionnel d'équipements entre structures voisines ? S'agit-il uniquement d'une stratégie d'optimisation financière ? Ou représente-t-elle, plus fondamentalement, une reconfiguration profonde de notre rapport à la propriété, à la consommation et à la collaboration ?
C’est cette dernière hypothèse que nous souhaitons explorer à travers Cagibig, un réseau de mutualisation implanté à Lyon et déployé sur l'ensemble de la métropole et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Créée dans un contexte de prise de conscience écologique, de nécessité économique, et en réponse aux besoins exprimés par des professionnels de terrain (régisseurs, techniciens et organisateurs), Cagibig a développé en quelques années un modèle économique et logistique alternatif parfaitement viable, aujourd'hui reconnu par les institutions publiques et adopté par plus de 180 organisations culturelles, sportives, éducatives et citoyennes.
En analysant les pratiques, les bénéfices tangibles et les externalités positives générées par ce réseau, nous souhaitons transcender les simples considérations économiques pour comprendre comment la mutualisation transforme non seulement les événements, mais également les individus et les structures qui les orchestrent.
L'organisation d'un événement culturel, éducatif ou citoyen constitue une démarche complexe mobilisant des ressources considérables : temps, compétences, énergie et capitaux dépassant généralement les capacités financières des organismes. Ces dernières années, l'environnement dans lequel évoluent les acteurs associatifs et culturels s'est significativement détérioré, créant des contraintes d'ordre financier, administratif et politique.
Les coûts de production connaissent une augmentation exponentielle, résultant de plusieurs facteurs macroéconomiques : inflation post-pandémie, augmentation du prix des matières premières et perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales. Parallèlement on observe une diminution significative des subventions publiques, conséquence d'une révision des priorités budgétaires, fragilisant de nombreuses organisations culturelles. Dans certaines collectivités territoriales, les ressources allouées aux initiatives associatives stagnent ou régressent, malgré une demande en constante progression. Face à cette situation, les organismes sont encouragés à diversifier leurs sources de financement par le développement de ressources propres, la recherche de partenariats privés ou l'ajustement à la hausse de leur politique tarifaire.
Dans ce contexte, la pression financière s'intensifie considérablement. L'organisation d'un événement représente fréquemment un engagement financier de plusieurs milliers d'euros, dont une proportion démesurée est consacrée aux infrastructures matérielles.
Les données quantitatives corroborent cette analyse : selon l'Institut National de la Jeunesse et de l'Éducation Populaire (2022), plus de 85% des organisations associatives françaises opèrent avec un budget annuel inférieur à 75 000€, et plus de 30% fonctionnent exclusivement grâce à l'engagement bénévole, sans personnel salarié. En d'autres termes, la majorité des structures doivent satisfaire à des critères quasi-professionnels avec des moyens significativement restreints. Autre indicateur révélateur : une proportion substantielle de ces budgets provient de l'autofinancement (billetterie, restauration, mécénat), plaçant ces organisations en situation de vulnérabilité face aux aléas climatiques, sanitaires ou logistiques. L'annulation ou le déséquilibre budgétaire d'un événement peut compromettre la pérennité même de la structure organisatrice.
Dans ce contexte exigeant, la mutualisation ne constitue plus une option facultative mais s'impose comme une nécessité stratégique fondamentale, conditionnant la viabilité opérationnelle des structures. Optimiser l'allocation budgétaire en réduisant la part consacrée aux équipements, sans compromettre les standards de qualité, de sécurité ou d'accessibilité, permet à de nombreuses associations de maintenir leur activité.
Face à un milieu caractérisé par des restrictions budgétaires croissantes et une complexification des exigences opérationnelles, la mutualisation de ressources s'impose comme une solution stratégique particulièrement pertinente. Ce modèle permet aux structures confrontées à des contraintes financières d'accéder, selon leurs besoins, à des équipements professionnels. Plutôt que d'immobiliser des capitaux significatifs dans l'acquisition d'équipements utilisés ponctuellement (qu'il s'agisse de structures temporaires, d'équipements frigorifiques nécessitant entretien et stockage permanent, ou de systèmes de sonorisation sous-exploités) les organisations du territoire bénéficient désormais d'un accès à un parc d'équipements mutualisé et centralisé, conçu pour répondre précisément aux besoins opérationnels du terrain.
Cette rationalisation des ressources transcende les organisations. Des acteurs culturels établis sur la région Auvergne-Rhône-Alpes tels que Mediatone ou Arty Farty intègrent également cette stratégie dans leur modèle opérationnel pour optimiser leur chaîne logistique, réduire leur empreinte environnementale et éviter les redondances d'investissement.
Valentin Fleury - chargé de production chez Arty Farty : "Je compare avec Arty Farty qui est énorme, ça permet aux petites structures d’avoir du matériel appartenant à de plus grosses structures et qui ont plus de possibilités d’achats, pour des coûts un peu plus faibles que si on allait chez n’importe quel loueur."
Johan Bouvier - régisseur général chez Mediatone : "Avant, on avait tendance à être en mode système D avec les contraintes budgétaires, en faisant le tour des mairies pour choper une tente par ci, une table par la, et on y passait plusieurs jours. C’est mobiliser des gens, des véhicules, sur énormément de temps, donc la mutualisation nous a fait gagner du temps [...] Dans notre configuration, on engrange des points toute l’année, et c’est super intéressant pour nous financièrement. On constate une baisse de nos dépenses qui est hallucinante, à comparer aux dépenses qu’on avait avant sur la location chez différents prestataires."
Les indicateurs consolidés en 2024 attestent de l'ampleur de ce modèle économique :
Lindsy Reynolds - co-fondateur des Graines Électroniques : "En tant que petite structure, on prend beaucoup de risques [...] On essaie au maximum de diminuer les risques qui pèsent sur le fonctionnement du festival et sur la structure [...] On a du matos à dispo quasiment gratuitement, ça permet de lâcher un peu de stress et d'être plus apaisé dans la manière dont on produit l’événement [...] On n’a pas beaucoup de financements publics, donc du coup ça permet aussi de se sentir soutenu par d’autres personnes, et de ne pas être tout seul.”
Au-delà des économies immédiates, la mutualisation transforme fondamentalement la planification stratégique des organisations. Alors que les investissements traditionnels engendrent des contraintes d'amortissement, de stockage et des vulnérabilités face aux aléas événementiels ou climatiques, l'approche mutualisée offre une agilité opérationnelle et une résilience structurelle qui sécurisent les projets. Elle libère des capacités de manœuvre financière, des ressources et, dans certains cas, du capital humain.
Valentin Fleury - chargé de production chez Arty Farty : "Je pense que depuis que ce concept de mutualisation a commencé, ça a pris une grosse ampleur. Je pense que ça tend à être encore plus le cas à l’avenir parce que les organismes préfèrent investir dans un truc qu’ils se partagent, pas besoin d’entretenir et de stocker puisque c’est fait par Cagibig. Ça enlève un poids à pas mal de personnes. Ce qui permet de rentabiliser beaucoup plus rapidement un achat de matériel si on le met à disposition plutôt qu’il croupisse dans un stockage et que ça soit utilisé deux ou trois fois par an. Là, le matériel tourne et est entretenu. Je pense qu’à terme, le projet ne tend qu’à grossir. Je ne vois pas comment ça pourrait aller dans l’autre sens."
L'industrie événementielle fait l'objet d'un examen approfondi concernant son empreinte environnementale depuis plusieurs années. Les manifestations festivalières sont particulièrement scrutées pour leur production de déchets, leur consommation de ressources non renouvelables, leurs émissions carbone liées aux déplacements, et leur dépendance aux équipements à faible taux d'utilisation ou à usage unique. Face à ces observations critiques, les organisateurs doivent concilier deux impératifs apparemment contradictoires : préserver l'excellence et l'ambition artistique de leurs projets tout en réduisant significativement leur impact écologique.
Dans ce contexte, on observe une certaine confusion conceptuelle. La notion de "responsabilité écologique" fait l'objet d'interprétations diverses et parfois opportunistes. Elle devient tour à tour argument marketing, critère de certification, ou simple formule rhétorique dépourvue de substance concrète. L'adoption de gobelets réutilisables ou l'installation de sanitaires écologiques sont fréquemment présentées comme des initiatives transformatrices, alors qu'elles ne constituent que la partie émergée d'une transition qui reste fondamentalement superficielle. En réalité, les principaux générateurs d'impact écologique ne résident pas nécessairement dans les consommables à usage unique, mais dans les équipements sous-utilisés, les chaînes logistiques inefficientes, et la duplication inutile de ressources matérielles dans un périmètre géographique restreint.
C'est précisément dans cette perspective que la mutualisation révèle sa pertinence stratégique. Elle s'attaque au fondement même de la problématique environnementale : la surproduction d'équipements et la sous-exploitation des infrastructures existantes. Chaque réutilisation représente une économie quantifiable en termes de matériaux et d'émissions. Cette approche ne relève pas d'une hypothèse théorique mais constitue une réalité mesurable.
Selon une étude publiée par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME) en 2023, les équipements matériels représentent 25% à 30% de l'empreinte carbone d'un événement standard, hors déplacements du public. Cette contribution inclut l'ensemble du cycle de vie (fabrication, transport, stockage, utilisation, et fin de vie). Le Shift Project approfondit cette observation dans son rapport "Décarbonons la culture !", soulignant que la chaîne logistique matérielle figure parmi les segments les plus émissifs du spectacle vivant, juste derrière la mobilité des équipes et des publics.
Pour illustrer concrètement ce phénomène : la production d'une structure de type barnum en aluminium de dimension 3x6 mètres génère approximativement 280 kg équivalent CO₂ (source : Base Carbone ADEME). Si cette infrastructure est exploitée par une entité unique à raison de trois utilisations annuelles pendant cinq ans, l'impact environnemental s'élève à environ 18,7 kg équivalent CO₂ par utilisation. En revanche, si cette même infrastructure est intégrée dans un réseau de mutualisation entre dix organisations, sa fréquence d'utilisation annuelle peut facilement être multipliée par dix, réduisant ainsi son impact unitaire à moins de 5 kg par utilisation, soit une diminution de l'empreinte carbone supérieure à 70%.
Pour aller plus loin, certaines organisations telles que Les Graines Électroniques à Lyon, ont développé une approche intégrée associant mutualisation et cyclologistique. L'intégralité de leur chaîne logistique événementielle - incluant équipements, restauration et signalisation - est acheminée par transport cycliste, grâce à l'utilisation de remorques spécifiquement adaptées. Cette méthodologie incarne parfaitement les recommandations formulées par le Shift Project, qui préconise le développement des solutions de livraison par vélo-cargo pour les derniers kilomètres et la relocalisation des flux matériels à l'échelle territoriale.
Le modèle opérationnel de Cagibig s'appuie également sur une traçabilité rigoureuse et une centralisation méthodique des équipements. Chaque élément emprunté fait l'objet d'un suivi systématique, de vérifications techniques et d'entretiens programmés. Ces équipements circulent entre différentes organisations, manifestations et parfois entre territoires administratifs distincts. Leur utilisation est optimisée, leur entreposage rationalisé et leur longévité significativement augmentée.
Valentin Fleury - chargé de production chez Arty Farty : “Faire un événement pollue. Travailler avec Cagibig ça permet de réduire les achats, les pertes, ça accentue les nouvelles méthodes de travail et d’utilisation de matériel. Quand je vois les mêmes pro tentes qui font Woodstower, Nuits Sonores, Nuits de Fourvières, tous les festivals lyonnais. C’est hyper intéressant [...] A l’avenir c’est un travail en commun et c’est pour ça qu’on tient grandement à continuer avec Cagibig. On est tous d’accord sur le fait que ce soit la bonne direction.
Face aux défis environnementaux contemporains, l'ensemble des solutions proposées ne présentent pas la même efficacité. Certaines nécessitent des cycles d'innovation sur le long terme, des ruptures technologiques majeures ou des transformations paradigmatiques fondamentales. En revanche, la mutualisation constitue une réalité opérationnelle immédiate et déjà existante. Elle démontre son efficacité, génère des résultats mesurables et présente un potentiel de reproductibilité significatif. Loin d'entraver l'expression créative, elle en facilite le déploiement selon des modalités alternatives. Par-dessus tout, elle confère aux acteurs territoriaux les moyens d'agir, sans attendre la transition écologique.
La philosophie de Cagibig peut se résumer ainsi : privilégier l'accès équitable et facilité aux ressources nécessaires plutôt que leur possession individuelle. Cette conception, apparemment simple, s'inscrit dans une transformation significative du paradigme économique conventionnel et s'aligne avec l'économie de la fonctionnalité, une approche valorisée par des institutions telles que l'ADEME, France Stratégie et l'Institut Européen de l'Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (IE-EFC). Ce modèle économique alternatif se détourne de l'accumulation matérielle pour privilégier l'utilisation effective, la collaboration inter-organisationnelle, et la pérennité des équipements.
Dans un système traditionnel, chaque organisation acquiert ses propres équipements, souvent à coût élevé pour une utilisation occasionnelle, puis les stocke, parfois dans des conditions inadéquates, pendant de longues périodes d'inactivité. Ce modèle présente des inefficiences économiques, des incohérences écologiques et des complications logistiques.
L'économie de la fonctionnalité propose une alternative structurée autour de trois principes :
Chez Cagibig, cette logique se concrétise par l'établissement d'hébergements centralisés, un parc de matériel collaboratif et un système d'échange qui structure les échanges entre les organisations contributrices et utilisatrices.
Johan Bouvier - régisseur général chez Mediatone : "On a un parc de matériel, notamment de pro-tentes, qui nous permet d’engranger des points quand il est emprunté par les autres [...] C’est gagnant - gagnant, car plus le matériel est demandé, plus on obtient de points [...] C'est un système où tout le monde peut gagner"
Dans un environnement économique dominé par les plateformes de location où chaque fonctionnalité devient un service monétisable à la demande, Cagibig propose une approche distinctement différente en positionnant la collaboration, plutôt que la transaction commerciale, au centre de son écosystème d'échanges coopératifs ancré dans la réciprocité et la confiance mutuelle, intégrant ainsi les dimensions humaine, collective et politique dans l'organisation logistique.
*Désigne les points du système d'échange local proposé par Cagibig pour la mutualisation de matériel. Ils permettent de valoriser et normaliser les échanges. Ces points s'obtiennent par les échanges de matériel, et permettent de rétribuer les structures selon leur apport au réseau. Ces points ne sont par conséquent ni remboursables, ni retirables en argent conventionnel.
La mutualisation constitue bien plus qu'une simple stratégie de réduction des coûts ou d'atténuation de l'impact environnemental des événements. Elle représente un véritable catalyseur de transformation organisationnelle. En instaurant un nouveau paradigme d'accès aux ressources matérielles (fondé sur l'utilisation partagée, la planification stratégique, et la contribution collective et l'anticipation), elle opère une refonte profonde des pratiques et postures des organisations qui l'adoptent. Ce qui peut initialement être perçu comme une contrainte logistique se révèle être une opportunité structurelle majeure : optimiser ses ressources, renforcer la clarté opérationnelle, professionnaliser ses processus et, fondamentalement, rompre avec l'isolement organisationnel traditionnel.
Dans un modèle de gestion conventionnel, de nombreuses structures ont développé des habitudes opérationnelles caractérisées par l'urgence : réservations tardives, improvisation logistique, stockage non-optimisé, redondance ou inadéquation des équipements. Cette désorganisation, souvent attribuable à l'insuffisance des ressources ou à la surcharge opérationnelle des équipes, engendre stress, inefficience et sous-optimisation des capacités organisationnelles.
La mutualisation impose une temporalité différente. Elle requiert de :
Cette approche instaure une culture d'anticipation collective. Elle incite les organisations à formuler avec précision leurs besoins, hiérarchiser leurs priorités et optimiser leur chaîne logistique en amont
Johan Bouvier - régisseur général chez Mediatone : "Aujourd'hui, on pense notre logistique différemment. On sait ce qu'on peut mutualiser, ce qu'on peut emprunter et on organise tout autour. On découvre souvent des solutions qu'on n'aurait jamais envisagées seuls. Il y a tellement de choses dans l’inventaire qu’on le fait défiler et on rajoute ce qui pourrait nous servir. Des petites choses en plus, comme le kit magasin, et le magasinier [...] Aujourd’hui on ne peut plus s’en passer, à partir du moment où le montage s’étale sur plusieurs journées, ça améliore le confort des techniciens, et ça accélère le montage."
La mutualisation transcende la simple dimension technique pour transformer fondamentalement les relations interprofessionnelles. Là où les organisations fonctionnaient auparavant en silos, parfois dans une logique concurrentielle, elles découvrent un écosystème dynamique où les échanges dépassent largement le cadre matériel.
Lindsy Reynolds - co-fondateur des Graines Électroniques : "On n’a pas beaucoup de financement, donc passer par Cagibig, ça permet de se sentir soutenu, de ne pas être tout seul dans son coin à essayer de faire des projets fous [...] On mutualise aussi nos compétences dans les ateliers. On anime des échanges sur comment organiser un événement engagé, gérer une équipe bénévole... Le côté transmission, c’est important pour nous."
Cette coopération établit un système de formation continue par les pairs : les organisations partagent expertises, recommandations et solutions techniques qu'elles n'auraient pu développer individuellement. La mutualisation devient ainsi un vecteur d'excellence collective et de pédagogie subtile. Elle encourage le dépassement des logiques individualistes au profit d'une approche plus ouverte, attentive et collaborative. Elle matérialise une infrastructure partagée qui impose de conceptualiser ses actions dans une perspective écosystémique. Cette transformation des pratiques organisationnelles, bien que progressive, s'avère profonde. Elle représente une avancée décisive vers une écologie organisationnelle où la sobriété ne s'apparente pas à une restriction mais à l'expression d'une intelligence collaborative.
Ce que Cagibig a réussi à construire, un modèle modulaire, reproductible et évolutif présente un potentiel de déploiement significatif dans une pluralité de territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux, caractérisés par une forte densité de matériel ou au contraire par une relative précarité infrastructurelle.
Les composantes fondamentales de cette architecture collaborative s'articulent autour d'éléments relativement accessibles :
Toutefois, ce sont les modalités d'usages, la culture coopérative instaurée et l'accompagnement qui transforment cette architecture formelle en vecteur effectif de transition. Ce n’est pas l’outil qui crée la dynamique : c’est la manière dont les acteurs s’en emparent.
Dans des environnements aussi divers qu'un quartier prioritaire, un territoire rural, une communauté de communes ou une agglomération de taille moyenne, la mutualisation peut répondre à des problématiques différenciées :
De nombreux réseaux manifestent déjà un intérêt stratégique pour ces approches : tiers-lieux, structures d'animation socioculturelle, événements culturels indépendants, acteurs culturels territoriaux... Tous poursuivent l'objectif d'optimiser l'utilisation des ressources sans compromettre la qualité ou l'impact de leurs interventions.
Malgré son potentiel transformateur, la mutualisation demeure insuffisamment reconnue comme levier stratégique dans les politiques publiques. Elle reste fréquemment cantonnée au statut de "pratique exemplaire" ou "d'alternative expérimentale", sans bénéficier du soutien structurel proportionné à son impact potentiel. Cette situation résulte d'une inadéquation fondamentale avec les cadres conventionnels d'intervention publique.
En effet, la mutualisation :
Paradoxalement, elle répond directement à des objectifs publics prioritaires formellement établis :
Cette analyse appelle une accélération de la reconnaissance institutionnelle de la mutualisation, selon plusieurs axes d'intervention :
Dans cette perspective, Cagibig ne constitue pas une finalité en soi, mais un laboratoire opérationnel d'innovation. Ce dispositif démontre l'efficacité potentielle de la mutualisation, sous réserve d'une méthodologie rigoureuse et d'un accompagnement qualitatif. Il incombe désormais aux territoires, aux institutions et aux décideurs publics d'opérer un changement de paradigme, transformant la mutualisation d'une option marginale en composante structurelle et stratégique des politiques de transition écologique et solidaire.
À une époque où le secteur culturel doit réduire son impact environnemental, maîtriser ses budgets, améliorer ses conditions de travail et renforcer son utilité sociale, la mutualisation apparaît comme un levier structurant, transversal et immédiatement applicable. Sans être une solution miracle, elle permet d'avancer dès maintenant, sans attendre des solutions venues d'ailleurs.
Cette approche collaborative offre des avantages concrets et multiples. Elle réduit les coûts en évitant les achats isolés et en optimisant l'usage des ressources disponibles. Elle diminue l'impact environnemental en prolongeant la durée de vie des équipements, en limitant les transports et en réduisant les déchets. Elle encourage la coopération en créant des habitudes d'échange, des solidarités concrètes et des formes d'entraide nouvelles. De plus, elle professionnalise les pratiques en incitant à planifier, à s'organiser, et à standardiser ses besoins.
Au-delà de ces bénéfices directs, la mutualisation transforme la culture du secteur. Elle change notre perspective et propose une autre vision. Cette nouvelle approche considère chaque événement non plus comme une initiative isolée, mais comme faisant partie d'un réseau d'interdépendances. Elle remplace l'achat rassurant d'équipements par la confiance en une infrastructure commune. Elle valorise l'usage plutôt que la possession. Elle nous apprend à faire mieux avec moins, ensemble.
Mutualiser ne se limite pas à une stratégie d'optimisation. C'est une nouvelle façon d'habiter l'écosystème culturel. C'est contribuer à un bien commun logistique, à une répartition plus juste des ressources, à une vision sobre et collaborative de l'action culturelle. Ce n'est pas renoncer à l'ambition : c'est en proposer une nouvelle forme. C'est la promesse qu'un autre modèle d'événementiel est non seulement possible, mais déjà en train de se construire, ici, collectivement, et pour durer.